La poire
Les aventures de ce fruit dans notre vocabulaire nous permettent d’explorer
… la face cachée de la poire
Saveurs, formes, appellations : la poire, c’est un peu le 1er de la classe au rayon fruits. Une preuve de plus qu’il faut toujours se méfier des premiers de la classe...
Duchesse d’Angoulême, Belle Angevine, Triomphe de Jodoigne... n’en jetez plus ! La poire collectionne les appellations comme d’autres les prix d’excellence. Cette moisson de distinctions est d’autant plus méritoire que le nom de ce fruit vient du latin pirum, un mot d’origine inconnue. Mais même ces racines incertaines n’empêcheront pas la poire de devenir l’un des présents offerts aux rois de France, lors de leur sacre, dans la cathédrale de Reims. Toujours ce besoin d’être au premier rang…
Et lorsque l’on pourrait espérer un peu de piment, l’enfant du poirier montre une réserve digne d’un écolier coiffé avec la raie au milieu : inutile de s’enflammer devant l’envie de se sucer la poire, cette expression, certes très distinguée, vous parle juste de s’embrasser.
Pourtant, parmi les nombreuses expressions qui recèlent un petit goût de poire, tout n’est pas qu’honneurs ou bienfaits. Il y a certes les bonnes poires, ces personnes naïves, dont on a envie de se payer la poire, se moquer gentiment. Pas de quoi affoler la maréchaussée du verbe !
Non, la vraie face cachée de la poire réside dans quelques locutions où l’on alterne… entre la contrainte et la douleur.
La reine du côté obscur de ce fruit est sans aucun doute la poire d’angoisse. C’est ainsi que l’on désignait autrefois une poche de cuir, remplie de graines, et que l’on vous attachait au niveau de la bouche pour vous empêcher de pouvoir émettre le moindre son. Comment çà, “inhumain” ? Subir cette astucieuse idée de bourreau, décrite notamment par Gérard de Nerval, n’entrainait pas automatiquement l’étouffement… Enfin, pas toujours…
Par extension, les poires d’angoisse pouvaient décrire toutes sortes de tortures, mauvais traitements et autres cruautés. Et à l’inverse, mais toujours avec le même genre d’intentions, ne pas promettre poires molles signifiait que l’on menaçait son ennemi d’une sérieuse correction.
Pas vraiment l’esprit que l’on pourrait attendre d’un fruit dont l’une des appellations est la poire Bon Chrétien ! Quand je vous disais qu’il fallait se méfier de cet air de premier de la classe…
Louis Carzou
Terroirs de Chefs