L'oeuf
Qu’il soit dur à cuire ou d’humeur à distribuer les omelettes..
Mieux vaut pas chercher des noises à l’enfant d’une poule : c’est ce que nous rappelle, fort à propos, l’argot lorsqu’il nous pond une expression... à base d’oeuf.
Trop lisse pour être innocent. Tel est le verdict sans appel des dictionnaires dès lors que l’on cherche son oeuf. Car ce «corps arrondi et dur», selon la très sérieuse définition du «Trésor de la Langue Française» (honni soit qui mal y pense, comme dirait la Reine), ce «corps arrondi et dur» nourrit pour l’essentiel des métaphores pas franchement aimables.
Oh, bien sur, il se trouvera d’intrépides contradicteurs pour m’opposer toute la délicatesse mécanique que renferme l’expression «avoir un oeuf sous le pied», avec laquelle l’on peut décrire les automobilistes qui n’écrasent pas l’accélérateur. L’époque est à la synthèse, c’est un fait.
Mais, tout de même, n’en déplaise aux crânes d’oeuf, ces brillants esprits aussi assommants qu’une lune de miel racontée sous power point, l’ovum latin devenu notre oeuf est synonyme de bêtise, de radinerie ou encore de surpoids. Bref, l’ovoïde n’est pas riche en compliments. Sauf, bien sur, si vous considérez que faire l’oeuf sur vos deux skis en haut de la Chamois Rouge est un moyen d’atteindre des sommets d’élégance. Je respecte votre différence.
En dehors de ce cas particulier, faire l’oeuf est le contraire de faire preuve d’intelligence, et même, circonstance aggravante, de le revendiquer. Quant à sortir de l’oeuf , cela consiste surtout à se faire remarquer par sa (très) grande naïveté. Il faut reconnaître qu’à part chez Fabergé, les oeufs n’inspirent rien de très brillant. On serait plutôt au paradis du mesquin.
Du genre à tondre les oeufs, belle expression ovipare pour moquer le radin de compétition. Du style à porter fièrement son oeuf colonial, autrement dit son ventre proéminent. Avec ces avortons, c’est une tradition, on est jamais très loin des poulaillers ou des cloches. La méfiance est de mise.
Ainsi les oeufs clairs désignent ceux qui n’ont pas été fécondés par un coq et suscitent, chez les spécialistes comme chez les béotiens, une circonspection bien compréhensible.
La prochaine fois qu’il vous prend l’envie de faire le coq avec ces locutions ovoïdales, adoptez le bon réflexe... et tuez la dans l’oeuf. Coquille avouée, à moitié pardonnée
Louis Carzou
Terroirs de Chefs