La baguette
Ce pilier de notre gastronomie est menacé par une drôle de farine : le marketing
“Bonjour madame ! Je voudrais un demi-bonheur pas trop cuit”… Ridicule ? Nous sommes bien d’accord. Inimaginable ? Détrompez-vous…
Une fois n’est pas coutume, au lieu d’explorer les racines d’un mot, penchons-nous sur l’avenir, ou plutôt la survie, d’un nom que l’on croyait assez commun pour être à l’abri des caprices de la mode : la baguette.
Erreur et consternation !
Ce mètre étalon des plaisirs de bouche est aujourd’hui en péril. Comme s’il était devenu incongru d’évoquer devant la jeune boulangère de votre quartier les mille et une saveurs que procure la tendresse d’une baguette encore tiède. Bref, lorsque même l’emblème se fait porter pâle, l’heure est grave !
Car ce qui menace la baguette de pain est un péril d’époque : à défaut de pouvoir changer la réalité, on demande à d’obscurs experts de trouver un nouveau terme pour désigner cette réalité. On croyait jusqu’alors cette maladie linguistique cantonnée au rayon fromage, ou plus précisément dans les rayonnages des “spécialités fromagères”... Allez expliquer à une brebis qu’elle est désormais promue à la production d’une “spécialité fromagère” ! C’est de la gastronomie en version Power Point.
Et c’est précisément cette dégénérescence lexicale qui menace aujourd’hui nos mies et nos levains. La Banette, la Tradition, le Bon’heur, la Rustique, la Rétrodor, la Saint Albin, la Paysanne, la Gallega, la Gourmet, la Campaiette, sans oublier l’exotique Finlandaise : Prévert n’aurait pas renié pareil inventaire, hélas loin d’être exhaustif. Car tous ces mots, tantôt latin de boulange, tantôt marques déposées, sont censés remplacer avantageusement le terme de baguette.
Il n’est évidemment pas question ici de juger des qualités gustatives de toutes ces “spécialités boulangères”. Le seul propos, c’est de rappeler qu’une bonne baguette de pain n’a pas besoin d’être truffée aux éléments de langage pour être plus appétissante.
Louis Carzou
Terroirs de Chefs