La truffe
L’impératrice souterraine n’a pas toujours droit aux sunlights des lexiques…
Le destin de la truffe dans l’argot, c’est un peu l’histoire… de Josiane Cendrillon qui aurait loupé le dernier métro. A la fin, elle boite.
Qu’importe le dictionnaire, l’anthologie, l’almanach, et je vous laisse bien volontiers le choix des trames, mais le constat est là : on finit toujours par être injuste avec les truffes.
Le Tuber Melanosporum est atteint d’une schizophrénie verbale, et je pèse mes mots, selon que l’on se penche sur ses déclinaisons ou sur ses significations.
Lorsqu’il s’agit de désigner la truffe, foin de ses origines rustiques, le vocabulaire s’enflamme avec la sobriété d’un poème à la gloire du président du Turkmenistan. Le « diamant de la cuisine » pour Brillat-Savarin, « l’impératrice souterraine » célébrée par le Marquis de Sade, la « princesse noire »…
A croire qu’à travers toutes ces expressions, on aurait cherché à dompter le mystérieux champignon, en le noyant sous l’emphase et la flagornerie. Mais c’est mal connaître les truffes.
L’argot a-t-il alors agi par esprit de vengeance en s’emparant de ce tuber récalcitrant ? La question doit être posée.
Car lorsqu’il s’agit, cette fois, de ce que la truffe désigne, il y a comme des fissures sur le palais du peuple et des mille et une nuits.
Il y a d’abord cet usage, vieux de plusieurs siècles, qui veut que l’on parle d’une truffe pour toute protubérance nasale hors normes, avec une préférence pour celles qui accueillent la carte SNCF des grandes lignes. Un pur délit de sale gueule.
De quoi sombrer dans l’alcoolisme ou, à tout le moins, « se piquer la truffe », l’ancêtre à 4,2 grammes du plus contemporain « se piquer la ruche ».
Il y a enfin et surtout cette signification qui colle aux sombres écailles du champignon comme un morceau de lino périmé : celle de la niaiserie, de la bêtise, de l’imbécillité et autres variantes infinies. Car la truffe n’est jamais à court d’imagination. Jamais.
Evidemment, un tubercule qui continue encore aujourd’hui de faire la nique à tous les scientifiques de la terre, même ceux du Turkmenistan, un champignon d’aspect difforme, sale comme un rebut de charbon, qui fait chavirer les palais les plus délicats, ça dérange. Ca bouscule le protocole.
C’est sans doute pour cela que l’on passe du paradis à la damnation avec la truffe, selon qu’on cherche à l’évoquer ou à l’utiliser pour qualifier son prochain. Et des truffes qualifiées, c’est sur, c’est tout de suite beaucoup moins rare…
Louis Carzou
Terroirs de Chefs