Le sorbet
Anodin, le sorbet ?
C’est oublier que le Malin n’aime rien tant que se faire passer pour anodin...
La célèbre complainte du sorbet, - “Vous qui passez sans me boire...”, mérite d’être entendue, car ces sphères rafraîchissantes ont traversé mers et déserts pour arriver jusqu’à votre palais.
Nombre d’entre nous seraient sûrement tentés de considérer le sorbet comme quantité négligeable, avec le dédain que l’on prête aujourd’hui aux virgules dans l'accommodement des phrases. Cette ponctuation des repas interminables est certes un peu passée de mode. Et pourtant !...
Derrière cette discrétion lexicale, cette phonétique presque fade, le sorbet, c’est la parfaite illustration, que la langue comme la gastronomie, n’ont de richesse qu’à travers les voyages, les emprunts et les mélanges.
En effet, cette spécialité glacée, introduite en France par Catherine de Médicis, était à l’origine servie dans les cours royales de Méditerranée et d’Asie Mineure, le plus souvent avec des fruits et du miel. Et ce long périple jusqu’à nos tablées, dont les détours se perdent entre la Chine et le Sahara, ce long périple se retrouve dans l’histoire du mot sorbet.
Comme le décrit le monumental “Dictionnaire culturel de la langue française” sous la direction d’Alain Rey, ce terme a été emprunté à l’italien sorbetto. Or, ce sorbetto est lui-même une version transalpine du mot turc chorbet.
Mais ce rébus, digne des Indiana Jones de la gourmandise, ne s’arrête pas là : le chorbet cher au Sultan de Constantinople était déjà la traduction de surba, qui signifie boisson en arabe. Et pour parfaire le périple linguistique du sorbet, il convient de noter que ce terme de surba est lui-même dérivé d’un autre mot de l’Arabe classique, le sarab, autrement dit, le sirop.
Bref, contrairement aux apparences, toujours trop sages pour ne pas être trompeuses, le sorbet n’a strictement rien à voir avec le sorbe, le fruit du sorbier. En réalité, le sorbet partage ses racines étymologiques avec, par exemple, la chorba, cette soupe traditionnelle délicieuse que l’on peut goûter de la baie d’Oran jusqu’au golfe de Syrte.
Alors, la prochaine fois que vous pousserez votre petite cuillère à la rencontre d’un sorbet, qu’importe son parfum, prenez le temps de fermer un instant les yeux et d’imaginer à votre tour l’incroyable odyssée de cette discrète virgule culinaire, aux effluves de fleur d’oranger...
Louis Carzou
Terroirs de Chefs