Dans l'air du temps
Ce matin, réveil problématique suite à un dîner copieusement arrosé dans un bistrot parisien.
Sur le palier m’attendent les croissants commandés la veille sur laboulange.com et un capuccino vanillé sur aztecafé.com.
Excellent petit-déjeuner que je complète par un peu de reblochon fermier parfumé à la menthe cannelle acheté sur beurreœuffromage.com – j’ai lu dans un webzine que c’était un must pour bien commencer la journée et qu’en plus ça rafraîchissait l’haleine.
Jadis, je serais tout bêtement descendu au bistrot me taper mon petit noir sur le zinc, mais à la place a surgi un Starbucks Café et j’ai encore un peu de mal à saisir les arcanes de la carte. Internet et Starbucks ont donc changé ma vie. Le reblochon menthe cannelle aussi ! Cependant il m’arrive de remplacer ce fromage aux élégantes - mais tenaces ! - fragrances des alpages par du jambon de truie importé de Sardaigne.
Je fonce sur mon iPad 2 pour vérifier que ma réservation sur le site Twitter d’un grand chef itinérant a bien été validé. Ouf ! Je serai bien l’un des heureux élus qui testeront le soir même des crevettes vivantes saoulées au saké junmai-shu. Pâmé d’extase, j’en trancherai la tête d’un coup de dent. Puis je succomberai de plaisir en testant les quenelles de crabe servies sur la fourrure d’un mammouth sibérien décongelé. Nous dînerons en un lieu improbable, une défunte charcuterie de la Goûte d’Or redécorée avec goût, et les hôtes de cette célébration exceptionnelle de la gastronomie ambulatoire ne débourseront finalement qu’un écot dérisoire. Dépaysement géographique et gustatif garanti. J’aime ça.
Mais en attendant cet instant de bonheur pur et lumineux comme mon eau Bling H²O à cinquante Euros la bouteille, je dois penser au déjeuner – manger est une obsession, une sorte de TOC qui me surprend surtout en plein travail – je débusque une trattoria qui livre à domicile des petits sandwiches à la rate comme ceux que l’on goûte à Palerme.
Le problème est le suivant : cette saveur est-elle compatible avec celles des mets que je dégusterai ce soir et dont mon imagination a déjà électrisé mes synapses ? Qu’importe. À midi pile, il me les faut ces petites choses épicées. Je commande, je contrôle, je suis à fond dans mon époque, je suis bien… Ce serait hype tout de même qu’un bougnat auvergnat ouvre dans le coin. Un bougnat wifi évidemment.
Edouard Bernadac
Terroirs de Chefs