« Exilez-vous ! »
Et si l’exil fiscal n’était en réalité qu’un exil culinaire ?
Nos riches compatriotes fuient à toutes jambes cet hexagone devenu fiscalement insalubre, dit-on.
Dernier en date et pas des moindres, un monsieur sérieux, fortuné, malletier de son état, homme d’affaires au flair si délicat qu’il respire déjà, comme par anticipation, les entêtantes fragrances de patchouli s’échappant par les fenêtres de la Société des Bains de Mer. Sa pérégrination lui fera quitter la Ville Lumière, qui ne brille plus que d’un éclat grelottant telle une vieille rose fanée jetée sur le pavé dans le halo d’un réverbère. Elle l’entraînera vers les embruns iodés d’Ostende – pas si loin d’Uccle à vol d’oiseau – puis dans le giron des cocottes griffées et juchées sur hauts talons à semelle rouge que les maîtres du monde aiment à entendre piailler autour des tables du casino ou, plus souvent, sur d’accueillantes méridiennes. Leurs langues féminines, savoureuses, exotiques, dont un ex-futur Président de la République abusa en son temps, dit-on encore, inviteront à la rêverie et au plaisir des sens, éveilleront le goût pour les mets sophistiqués et les desserts crémeux. Le monsieur fortuné entrera plus tard dans un restaurant étoilé, s’assoira, commandera un plat exceptionnel dont il jouira avec une acuité intense et nouvelle qui le bouleversera à jamais. « Le changement, c’est maintenant ! » songera-t-il avec un sourire de contentement esquissé sur ses lèvres. La liberté, à laquelle il aura l’impression de goûter pour la première fois, lui fera-t-elle oublier pour autant les saveurs de la France ? Regrettera-t-il ses anciens compatriotes qui aiment tant qu’on dirige leurs destinées les yeux bandés, le souffle court et l’haleine amère ? Peut-être.
« La France, s’interrogera-t-il après une gorgée rafraîchissante de Cristal Roederer, offrira-t-elle encore une gastronomie digne de ce nom dans les deux ans qui viennent ? Nul ne le sait au fond des palais du septième arrondissement ! La crème des choux gardera-t-elle toute sa fraîcheur dans le tonnerre et le vacarme assourdi des réformes mortes nées ? On se le demande ! Les bistrots au zinc racoleur et aux serveuses aimables, avec leurs cartes si alléchantes et leur TVA allégée, resteront-ils encore compétitifs d’un point de vue culinaire ? Mystère ! Ici, finalement, on mange mieux, conclura-t-il. » Puis il se lèvera après avoir réglé son addition et, d’un pas décidé et alerte, il regagnera sa villa bâtie sur les hauteurs du rocher où la brise légère glissera sur lui comme la caresse d’un foulard de soie.
Edouard Bernadac
Terroirs de Chefs