« J’ai des gouts simples...
... je n’aime que le meilleur. »
À force de parler des terroirs sans y laisser vagabonder nos papilles, on en aurait presque oublié qu’ils étaient le socle de la cuisine et les authentiques agitateurs du goût.
L’air du temps avait soufflé par là. Nous avions plongé dans l’alchimie tarabiscotée de la cuisine new age, ensorcelés par un bouillonnement d’atomes excitateurs de nos sens.
Le terroir était peut-être présent dans nos assiettes, mais, pour le reconnaître, il fallait une sérieuse initiation.
Les décoctions étranges aux reflets irisés, nappées de sauces mutantes réfrigérées à l’azote liquide, en effet ça en jetait sur les pages papier glacé des magazines ! Mais dans l’écuelle raku importée d’Hokkaido, là, sous notre nez aguiché par d’étonnantes fragrances, devant nos yeux éberlués par la phosphorescence crépusculaire où flottaient les tronçons d’un homard breton, le doute s’invitait brusquement à notre table.
Cette gastronomie moléculaire, préparée dans une cuisine laboratoire à l’atmosphère aseptisée, nous faisait-elle soudain regretter la courge de foie gras d’oie ou le pigeon rôti à l’ail confit et à la tomate douce d’un restaurant étoilé, mais figé selon la critique ?
Les tyrannies, celle de la mode comme celles des potentats, sont faites pour tomber. Heureusement !
Tout à coup, nous découvrons - ou redécouvrons, c’est selon - qu’il n’est pas nécessaire de triturer, malaxer, torturer une pauvre truffe périgourdine pour en exprimer la quintessence. Il suffit de prendre un couteau, d’émincer la truffe en fines tranches que nous saupoudrons ensuite de fleur de sel de Guérande…
Et le goût simple, puissant et merveilleux d’un terroir, d’une terre gorgée de soleil où poussent les chênes truffiers, nous bouleverse, ravive en nous les souvenirs d’un trop bref séjour dans le sud-ouest, dans ce village un peu perdu où nous avions déjeuné sur une terrasse ombragée au bord de laquelle bruissait un ruisseau. Des truffes, des ris de veau aux morilles, un excellent Bordeaux. Tout est dit. C’était simple, c’était bon.
Edouard Bernadac
Terroirs de Chefs