« Le théorème de l’ambassadeur »
Ou comment prendre de bonnes résolutions gastronomiques
Attention ! Cette année sera cruciale pour nos portefeuilles et nos papilles !
Comme tout va augmenter, des frais bancaires en passant par les impôts, la TVA, l’essence, le gaz et l’électricité – la simple utilisation des pianos dans les cuisines de nos restaurants étoilés contribuera donc à grever un peu plus les douloureuses – sans oublier les produits du terroir dont le coût du transport menace d’exploser, il faudra nous résoudre à gamberger afin de nous sustenter convenablement.
Loin de moi l’idée d’accabler nos respectables élus aux intentions humanistes, qui transpirent avec la même ardeur stakhanoviste sur le mariage pour tous que sur la taxe à 75% récemment retoquée par nos sages, mais il faut bien avouer qu’ils nous poussent à réviser à la baisse notre budget annuel sorties restaurant.
Quel dommage pour la gastronomie et toute l’économie qui en découle !
Cette richesse nationale, que l’on peut inscrire sans hésiter au registre de l’exception culturelle française si chère à nos ministres de la Culture qu’ils soient de gauche ou de droite, risque de battre un tantinet de l’aile.
Puisque tous les saltimbanques fortunés et les capitaines d’industrie quittent plus ou moins discrètement le territoire national, parfois même pourvus d’un passeport à l’écriture cyrillique encore fraîche, quelle politique gastronomique devront suivre nos chefs toqués pour ne pas aplatir nos bourses – celles de DSK se portent à merveille, merci - déjà bien pressées, écrasées, concassées ?
C’est là que peut s’avérer fort utile le « Théorème de l’ambassadeur », aussi bien pour nous que pour nos cuisiniers inventifs dont les yeux, pourtant, présentent cette étrange particularité de se brider à force de lorgner vers le pays du soleil levant.
Cité la toute toute première fois par le défunt gastronome Lord Adam Ceesteate Bucchaale lors d’un banquet dans le palais mantouan de Baldassar Castiglione - puis par Jeanne Mas quatre siècles plus tard sur la scène du Zénith - le théorème de l’ambassadeur est admirable de simplicité et de bon sens.
On peut le résumer en ces quelques mots : ne courrez pas après la quantité, la mode ou la publicité ; préférez au contraire la qualité et le secret, car même un humble produit, injustement ignoré par l’homme, peut recéler des vertus remarquables ; apprenez à vous contenter de peu sans jamais en abuser, à la longue vous ferez des économies en faisant votre marché.
Edouard Bernadac
Terroirs de Chefs
Note de la rédaction : Lord Adam Ceesteate, quinzième comte de Bucchaale, né le 18 janvier 1580 à Bucchaale, petite bourgade du Sussex, était un grand chef cuisinier et un promoteur de la gastronomie.
Le roi Jacques Ier d'Angleterre, monarque aux joues fessues et duveteuses, le fit décorer à titre posthume de l’ordre royal de la Sainte Rotule afin d’honorer ce grand précurseur de l’art culinaire qui prépara avec une inégalable maestria les «genoux de bœuf braisés aux tomates ».
Sur sa pierre tombale, dans le petit cimetière de Bucchaale, on peut lire l’épitaphe suivante : « En matière gastronomique, il faut d’abord gagner la confiance de celui que l’on veut tromper car la vie est dure sans confiture et très amère sans camembert. »