« Quand le cinéma fait sa cuisine »
« À Hollywood, on ne plaisante pas avec la bouffe ! »
Aimait à répéter Samuel Goldwyn dont les souvenirs de son adolescence polonaise avaient été embellis par le soleil californien.
Et pourtant, à y bien regarder en s’enfermant dans une salle obscure – plutôt un salon au fauteuil confortable trônant devant le plasma, les salles obscures étant aujourd’hui réservées à des films de catcheurs dotés de super pouvoirs, habillés en drag queens, qui ne mangent pratiquement pas – la gastronomie et le cinéma, ça fait deux.
Prenez « Alien » par exemple. Dans la scène horrifique où un membre d’équipage donne naissance au monstre préférant pratiquer lui-même sa césarienne, que voyons-nous ? Des gens en train de picorer des graines et sucer des nouilles soba défraîchies. En plus ils ont l’air d’adorer ça !
Suivant la même veine futuriste, dans « 2001, l’odyssée de l’espace », vous souvenez-vous de ce que se tape l’ingénieur américain lors de son voyage pour la Lune ? Des bouillies aux saveurs de steak et petits pois que n’aurait sans doute pas reniées le regretté Ferran Adrià – il n’est pas mort, je sais, mais si vous avez rencontré quelques difficultés à réserver chez El Bulli, ça sera une autre paire de manches pour s’asseoir à la table d’hôtes de sa future fondation - ; quand plus tard le même ingénieur survole le sol lunaire à bord d’une navette, il dévore un sandwich SNCF en gémissant de plaisir. Ah ! Hollywood !
Mais regagnons le vieux continent, voulez-vous. Ici, on sait ce que c’est que la grande bouffe. D’ailleurs, on finit par baptiser un film comme ça, c’est vous dire. Mourir d’avoir trop bu et trop mangé, un comble lorsque l’on voit ce que Marco Ferreri a fait servir dans les assiettes ! À part un acteur, qui aimerait ingurgiter de pantagruéliques purées Mousline en salivant sur un cochon de lait carbonisé de la taille d’un bœuf ? Donc, dans les films italiens, on mange beaucoup et n’importe quoi.
« Cannibal Holocaust », ça vous dit quelque chose ? Là on passe au niveau supérieur, âmes sensibles s’abstenir. Si on a vraiment faim dans un film, mais pas d’allumettes, pas de bois, pas de sandwich SNCF et encore moins de bouillie NASA, on se rabat sur ce qu’on trouve. Une pauvre tortue fera très bien l’affaire ; en tartare, excellent pour le transit intestinal et revigorant pour le teint. Quant aux indigènes de la forêt amazonienne, ils préfèrent manger leur viande humaine grillée à point, mais se contentent de chair crue en cas de fringale.
Les Britanniques ont un goût prononcé pour les fruits de mer. Les huîtres font leurs délices. Pour vous en convaincre, regardez la scène de Tom Jones – pas le biopic du chanteur au torse crépu, il n’a pas encore été tourné – où Albert Finney s’en envoie quelques douzaines sans sourciller. Et lorsque l’on observe les huîtres de plus près, franchement on admire autant la performance du comédien que l’efficacité de sa flore intestinale.
Le cinéma français, quant à lui, est prodigue d’agapes. Le plus grand réalisateur de téléfilms projetés sur grand écran - pardon Claude Chabrol, c’est le cas d’un grand nombre de réalisateurs français dont vous ne fûtes que le précurseur talentueux et zélé – n’intitulait-il pas l’une de ces œuvres « Poulet au vinaigre » ? En avez-vous seulement goûté un ayant passé trois heures sous la chaude lumière d’une forêt de projecteurs ?
Si vous êtes un jour invité sur un plateau de cinéma, je vous conseille de prendre la tangente quand un assistant au sourire mystérieux vous proposera de vous attabler pour grossir le rang des figurants en train de baffrer… surtout s’il s’agit d’un film tiré de la vie de Grimod de la Reynière.
Edouard Bernadac
Terroirs de Chefs