« Un concours de daube »
Ou comment recycler la Nouvelle Cuisine
Réinterpréter une bonne daube, en voilà un défi prometteur ! Surtout s’il s’agit de le faire dans un avion en piqué, un train fou ou encore dans la remorque d’un trente tonnes lancé à toute vitesse sur une départementale criblée de nids de poule.
Les concepteurs de concours culinaires télévisés rivalisent donc d’ingéniosité pour transformer en cauchemar la découpe d’un radis, le dressage d’un mille-feuille de homard au jus de truffe caramélisé et bien sûr l’élaboration d’une daube revisitée façon nippo-germanopratine.
Alors que les chanteurs recyclent de vieux standards de la culture populaire, que les producteurs d’Hollywood mettent en chantier les remakes des blockbusters des années 80-90, ne manquait plus au tableau qu’une modernisation des préparations de nos grands-mères et arrière-grands-mères en gourmands, mais ô combien laborieux plats de la Nouvelle Cuisine du septennat Giscard.
« Le présent, c’est le passé revu et corrigé ; le futur, la même chose mais dans l’autre sens », comme le disait si bien le grand gastronome anglais Adam Ceesteate. Est-ce possible ? Mais bien sûr, voyons ! La télé l’a fait car elle sait que nous sommes tous amnésiques. Il nous est présenté une cuisine de Messieurs Point, Senderens, Guérard et consorts comme si nous avions devant les yeux - à défaut de les avoir sur les papilles - des plats d’un modernisme échevelé, pour ainsi dire rien moins que l’avenir. Et ça marche par-dessus le marché ! Jamais les audiences n’ont grimpé aussi haut pour ce genre de programme. On court, spatule et couteau à la main, toque de travers - ah non ! pardon. Pas de toque. Pas de problème d’hygiène, il s’agit d’une cuisine cathodique -, et l’œil rivé à l’horloge qui égrène les minutes de l’épreuve éliminatoire. La daube finale ne ressemble plus du tout au classique d’origine. Quant à son goût, il faut faire confiance au jury de chefs qui estiment qu’il y a ici beaucoup de travail, là un déficit d’inventivité, et puis partout pas assez de gourmandise.
La distraction et le plaisir sont au prix de la neige carbonique qui fait joli dans les desserts.
Edouard Bernadac
Terroirs de Chefs